Les dispositifs de l’enseignement spécialisé : entre contrôle et émancipation

Abstract

Dire que l’école est un espace où se jouent des relations de pouvoir semble évident. D’abord parce que les relations entre les acteurs y sont largement asymétriques : d’un côté une institution et des enseignant·e·s détenteurs de savoirs et d’autorité, ayant le monopole de l’évaluation et de la coercition. De l’autre, des élèves, mineurs, dont le parcours scolaire dépend en grande partie des jugements scolaires, qui sont souvent démis de leur pouvoir décisionnel. C’est d’autant plus prégnant pour les élèves les plus fragilisé·e·s, les « acteurs faibles » du système scolaire (Payet, Giuliani & Laforgue, 2008) : les élèves d’origine étrangère, de famille populaire ou dits à « besoins particuliers ». Pour ces élèves jugé·e·s difficiles ou en difficulté, les sociologues ont bien montré comment s’étend l’emprise de l’école sur leur parcours et comment est facilitée l’immixtion de l’institution scolaire dans la sphère privée de l’élève et de sa famille (voir par exemple Morel, 2014). Les dispositifs de l’enseignement spécialisé favorisent le marquage et le ciblage des élèves posant problème à l’école ordinaire. Dans une vision foucaldienne, le dispositif, qu’il soit prison, asile ou école, est « toujours inscrit dans un jeu de pouvoir » (Foucault, 1977) dans le sens où il est outil de contrôle, de normalisation et de dressage des corps. Les différents dispositifs de l’enseignement spécialisé, par leur capacité à catégoriser les élèves en pointant les insuffisances et les écarts à la norme peuvent être appréhendés comme des organes de contrôle et de renormalisation d’élèves inadapté·e·s au système scolaire. Si l’on trouve à l’école des relations de pouvoir à tous les coins de couloirs, reste à saisir – dans une perspective interactionniste – les marges de manoeuvre des élèves (et également des enseignant-e-s qui sont également pris dans des relations de pouvoir avec l’institution) dans ces différents dispositifs. En quoi les dispositifs du spécialisé peuvent être à la fois capacitants (émancipation) et aliénants (contrôle) ? Dans cette visée, l’utilisation du concept de « carrière morale » (Goffman, 1968) permet d’éviter l’écueil du tout déterministe (les élèves seraient les victimes d’une machine scolaire implacable) ou du tout stratégique (les élèves font des choix en tant qu’individus responsables et leurs actions sont les conséquences directes de leurs choix) mais permet de saisir à la fois les contraintes qui pèsent sur les acteurs et les marges de manoeuvre dont ils disposent pour composer avec elles.