Performance et participation : l’école prise entre deux feux
Type de référence
Date
2024-02-29Langue de la référence
FrançaisRésumé
En 2002, Becker nous rappelait que « les choses ne sont que des gens qui agissent ensemble » (p. 90). Partant de la « structure sociale » telle que définie par Berger et Luckmann (1966), nous envisagerons les cultures comme des constructions sociales, c’est-à-dire des catégories dont l’existence n’est pas « naturelle » mais progressivement institutionnalisée et légitimée, au moyen de conventions. Ainsi, « l’activité collective s’organise sur la base de l’échange langagier à partir des représentations portant sur la façon dont il convient d’agir, pour les individus et les collectifs. Ces représentations reposent sur des normes actionnelles qui se constituent progressivement à travers la mise en commun, l’appropriation et la normalisation de façons de faire (Schurmans, 2008), stabilisées en conventions (Boltanski & Thévenot, 1991) » (Rougemont, 2014, p. 20).
Ce préalable nous permettra de nous interroger sur ce que fait l’introduction d’un ensemble de conventions dans les « cultures » d’un métier ? Si le Concept cantonal (vaudois) de mise en œuvre et de coordination des mesures spécifiques en faveur des élèves des établissements ordinaires de la scolarité obligatoire (Concept 360°) formalise un certain nombre de pratiques déjà à l’œuvre, il reconfigure les prescriptions à l’égard du travail enseignant, soulevant ainsi de nouvelles problématiques.
Notre interrogation sera nourrie par une recherche que nous réalisons à la HEP-Vaud, dans le cadre du Certificat d’études avancées « Enseigner pour et avec la diversité » destiné à des enseignant·e·s diplômé·e·s de tous les degrés de la scolarité. Ce dispositif est pensé comme un laboratoire de formation et de production de connaissances sociales et pédagogiques, dans lequel les expériences vécues et problématisées par les enseignant·e·s rencontrent les conceptualisations théoriques apportées au sein du programme.
À partir de neuf questions ouvertes, développant chacune une dimension du problème analysé (les contraintes et opportunités de la mise en place du Concept 360°) deux groupes de 14 enseignant·e·s ont produit chacun, en parallèle, une centaine de propositions de récits d’expérience professionnelle, selon la méthode d’analyse en groupe (Van Campenhoudt, Chaumont & Franssen, 2005). Dix-huit de ces propositions ont été choisies et analysé en groupes, puis exploités dans l’écriture de chapitres co-signés entre chercheur·e·s et enseignant·e·s, en vue d’un ouvrage collectif à paraître.
Dès son introduction, le Concept 360° assume la coexistence de deux univers de valeurs distincts, par un champ lexical mêlant efficience, maîtrise, fonctionnement, contrôle voire répression versus participation, égalité, épanouissement, accomplissement. Les objectifs sont, en effet, d’impulser ou renforcer une culture de l’éducabilité tout en apportant « une réponse structurée et efficiente à l’ensemble des besoins de l’école » en articulant « toutes les prestations à disposition des professionnels, des parents ou des élèves » (Concept 360°).
Cette coexistence se retrouve en filigrane des récits proposés lors des analyses et des chapitres qui en sont issus. Le registre mobilisé est celui de la tension : la concrétisation du Concept 360° dans les établissements se heurte à une absence/insuffisance de conventions et à une coexistence de conventions rivales, s’organisant autour du champ lexical déjà mentionné et se répercutant directement sur le bien-être des enseignant·e·s.
Sur cette base, nous identifions deux cultures professionnelles en tension, émergeant des récits et qui peuvent se rattacher respectivement à deux des mondes modélisés par Boltanski et Thévenot (1991) :
- le monde civique, organisé autour de valeurs liées au collectif, à la participation, aux droits civiques ;
- le monde industriel, organisé autour de la performance, l’opérationnel, la maîtrise.
Le Concept 360° renforce cette tension en la formalisant, notamment au moyen d’appareillages (cristallisation objectivée de représentations : lois, règlement, procédures, cursus, mesures d’aide, etc.). En garantissant aux établissement une marge de manœuvre pour trouver les solutions qui leur convient le mieux, à travers leur « projet d’établissement », il élicite pour les enseignant·e·s et les écoles des réponses relevant du monde connexionniste. Issu de l’intégration progressive, par le capitalisme, de la critique que lui adressent les autres mondes, le monde connexionniste valorise l’activité, visant à générer des projets, s’intégrer dans des projets initiés par d’autres, s’insérer dans des réseaux et enjoint à être engagé, mobile, enthousiaste, impliqué, mobile, adaptable, polyvalent, évolutif, disponible… et d’être capable d’engager les autres (Boltanski & Chiapello, 1999).
Nom de la manifestation
Colloque CultureSDate(s) de la manifestation
29 février 2024Ville de la manifestation
BiennePays de la manifestation
SuisseURL permanente ORFEE
http://hdl.handle.net/20.500.12162/7729- Tout ORFEE
- Détail référence