Récolter et analyser des données à la première et la troisième personne dans un projet de recherche trinational sur la présence corporelle.

Abstract

La présence corporelle du formateur (Marsault et Lefèvre, 2022) ou de l’enseignant est un terrain riche et récent de recherche. Cette communication vise à analyser et discuter des enjeux d’une méthodologie mixte dans le projet de recherche RESPIRE (Reconnecting with Experience and Sensitive for instructional Practices fostering Inclusivity, Resilience and Equity) sur la présence corporelle des formateurs dans l’enseignement du supérieur. Nous avons formulé la question de recherche suivante : quels sont les enjeux et les défis méthodologiques d’une recherche sur la présence corporelle articulant des données à la 1ère et la 3ème personne ?

La recherche-action participative (Chevalier et Buckels, 2013) analysée ici est un projet longitudinal et trinational (Suisse (partie francophone), France (Guadeloupe), Canada (Quebec)) débuté en automne 2022. Il vise à décrire dans quelle mesure les expériences faites au sein d’une communauté de pratique (Wenger, 2005) traitant de la place vécue du corps dans la formation des enseignants modifient les pratiques professionnelles de formateurs en EPS, en arts, en musique et en mathématiques universitaires dans de hautes écoles. Le cadre d’analyse se réfère à la théorie phénoménologique de Van Manen (2017) et aux effets de contexte (Delcroix et al., 2013 ; Forissier et al., 2017). La formation s’étale sur 18 mois et implique 14 chercheurs aux cultures scientifiques différentes, 7 formateurs et 24 participants aux communautés de pratique pendant 18 mois dans les trois pays.

La mixité des méthodes du projet apparaît dans la production des données à la croisée de la 1ère et de la 3ème personne (Quidu et Favier-Ambrosini, 2014). Elle implique des positionnements épistémologiques différents. Divers types de données sont récoltées dans ce projet : En 3ème personne : 1) les questionnaires ayant pour objectif de dresser le portrait de l’utilisation de la présence corporelle au sein de chaque institution en période de COVID avec des enseignements en présentiel et en distanciel. 2) La description du déroulement des communautés de pratique portant sur la présence corporelle des formateurs pour rendre visible le processus factuel/ objectif ? de formation. En 1ère personne : 1) les journaux de bord des participants et des chercheurs impliquant des supports variés (l’écriture, le dessin, l’enregistrement audio, la photographie) documentant des aspects de la présence corporelle. 2) Des entretiens d’explicitation avec les participants permettent d’accéder à la prise en compte du corps dans leurs enseignements. 3) Une séance d’auto-confrontation basée sur une leçon filmée est envisagée à la fin du processus. 4) Journaux de bord des chercheurs/ chercheuses documentant les processus de recherche au sein du projet tri national.

Afin d’identifier les défis liés à l’articulation des méthodes et données, nous nous intéressons dans cette communication à trois moments du processus de cette recherche-action : le premier moment du design de la recherche, la première rencontre entre l’équipe trinationale et la situation après les 6 premières séances de la communauté de pratique. Nous avons conduit une analyse thématique des notes ethnographiques et journaux de bord de chercheuses suisses portant sur la co-construction et les réajustements de la méthodologie et la façon dont les données s’articulent.

Notre analyse montre des précautions éthiques, méthodologiques et épistémologiques qui nous ont conduits à abandonner l’entrée phénoménographique (Lefèvre, 2019). Ces résultats nous amènent à discuter de la spécificité de l’objet d’étude qu’est le savoir corporel et ses dimensions multiples. Dans quelle mesure le corps est-il l’objet de transformation ou n’est-il qu’un prétexte d’une recherche « sur » ? La relation entre les différentes types de données va nous éclairer sur l’ajustement du dispositif d’analyse pour le futur. In fine, les discussions mettent en évidence comment le corps devient ici un agent révélateur du processus de recherche et comment la sensitivité corporelle émerge comme nouvelle forme de s’affirmer et questionner les positions sociales au sein d’un projet de recherche.

Bibliographies

Chevalier, J.M., & Buckles, D. (2013). Participatory Action Research Theory and Methods for Engaged Inquiry. Routledge. Delcroix, A., Forissier, T., & Anciaux, F. (2013). Vers un cadre d’analyse opérationnel des phénomènes de contextualisation didactique. Contextualisations didactiques: approches théoriques. L’Harmattan. Forissier, T., Bourdeau, J., & Psyché, V. (2017). Quand les contextes se comparent et se parlent. Contextes et didactiques. Revue semestrielle en sciences de l’éducation [En ligne],10. https://doi.org/10.4000/ced.954 Lefèvre, L. (2019). Obésité adolescente et expérience corporelle en EPS: entre agir et subir les contraintes normatives (Doctoral dissertation, Université de Strasbourg). Marsault, C., & Lefèvre, L. (2022). La présence corporelle des enseignants, des formateurs et des entraîneurs : Caractéristiques et enjeux méthodologiques. La présence corporelle: une nouvelle forme de savoir professionnel?. Recherches & éducations, [en ligne], 24. https://doi.org/10.4000/rechercheseducations.13059 Quidu, M., & Favier-Ambrosini, B. (2014). L’articulation des données en première et troisième personnes. Intellectica, 2(62), 7-34 Van Manen, M. (2017). Phenomenology in its original sense. Qualitative health research, 27(6), 810-825. Wenger, E. (2005). La théorie des communautés de pratique. Presses Université Laval.