Le changement pédagogique : un processus impliquant acteurs, organisation et institution : analyse de trois réformes scolaires de l'espace francophone bernois : entre changements et inertie
Auteur, co-auteurs
Type de référence
Date
2022-11Langue de la référence
FrançaisEntité(s) de recherche
Résumé
Cette recherche s’intéresse aux processus de changements pédagogiques récents au sein de l’école francophone bernoise, dans le but de comprendre comment les réformes sont appréhendées par les enseignants et quels sont leurs effets sur les pratiques pédagogiques.
Le changement est un concept polysémique, peu défini pour lui-même, cela parce qu’il porte nécessairement sur un objet précis, lequel détermine son contexte et sa conceptualisation. Or, nous considérons comme nécessaire de développer un cadre théorique non seulement pour l’objet, dans notre cas la pédagogie, mais aussi pour le changement en soi.
Nous commençons ainsi par définir ce qu’est la pédagogie à l’aide de trois axes, axiologique, théorique et praxéologique (Vellas, 2008), lesquels sont encastrés dans différents niveaux de contextes, organisationnels, institutionnels, sociaux, mais aussi temporels et géographiques, qui peuvent être thématisés à l’aide d’échelles (Lahire, 1996). Nous considérons ensuite la pédagogie comme un fait social situé dans le champ de l’école, pour lequel il est possible d’identifier une forme pédagogique stable, la pédagogie traditionnelle, identifiable à des composantes spécifiques, lesquelles peuvent être concernées par des changements, notamment issus de réformes institutionnelles. (chapitre 1)
Nous nous intéressons ensuite au concept de changement pour lui-même, en croisant plusieurs théories et recherches empiriques sociologiques et psychologiques, cela débouchant sur un cadre théorique mixte, mobilisant de nombreux apports différents. Nous proposons une définition ontologique du changement social, caractérisé par un processus provoquant déconstruction d’irréversibilités, incertitude, puis rupture (Grossetti, 2004), suivi d’une reconstruction de nouvelles irréversibilités. Cette définition permet de différencier différents types de mouvements, notamment les adaptations, les changements, et parmi ceux-ci, les réformes des innovations (Cros, 1993). (chapitre 2)
Cette définition du changement nécessite une opérationnalisation, que nous avons effectuée en mobilisant trois dimensions (Bernoux, 2010), soit l’acteur et ses conceptions (Giordan, 2018), l’organisation et ses rôles (Weick, 2003), enfin l’institution, ses normes et son fonctionnement (Bourdieu, 1982 ; Douglas 2004). Chacune de ces dimensions est composée à son tour de nombreuses variables ; nous en développons quelques-unes qui semblent prépondérantes : les croyances, les logiques d’action, l’identité et les apprentissages pour l’acteur, les représentations sociales, les réseaux, les pratiques pédagogiques et les apprentissages collectifs pour les organisations, ou encore la culture institutionnelle, les lois et le fonctionnement institutionnel pour les institutions. Ces choix n’étant pas exhaustifs, nous laissons la possibilité à de nouvelles variables d’apparaître lors des analyses. Ainsi, lors de changement, ces trois dimensions et leurs variables s’articulent et amènent à des apprentissages, individuels et collectifs, cela dans des configurations à chaque fois différentes, donnant au changement des caractéristiques spécifiques à son contexte (Ducros & Finkelsztein, 1996 ; Alter, 2000). (chapitre 3)
En adoptant une perspective théorique compréhensive tout en incluant des composantes interactionniste et fonctionnaliste, notre cadre théorique identifie les enseignants comme étant les acteurs privilégiés du changement, la classe devient l’organisation de références, cela incluant les élèves et leurs rôles, et le contexte scolaire plus large, en particulier l’établissement scolaire, le département de l’instruction publique et les lois scolaires, qui constituent la dimension institutionnelle. Le changement pédagogique est ainsi défini comme un changement de pratiques, effectué par l’enseignant, qui affecte ses élèves et qui est entériné par une transformation formelle du fonctionnement institutionnel, notamment des normes.
Afin d’identifier de potentiels changements, il reste nécessaire de les situer historiquement, cela permettant d’argumenter la présence d’une rupture. Nous proposons ainsi un historique de l’institution scolaire (annexe 1.7), cela nous conduisant à cibler un terrain spécifique, l’espace francophone bernois, et à identifier trois réformes en cours, soit l’implémentation d’un nouveau plan d’études, l’immixtion du paradigme de l’inclusion et ses implications légales et pratiques, une nouvelle directive restreignant drastiquement les devoirs. (chapitre 4)
À l’aide d’une méthodologie conjuguant histoire de vie, entretien d’explicitation (Vermersch, 2011) et entretien compréhensif (Kaufmann, 1996), nous sommes ensuite allés à la rencontre de treize enseignants pour leur demander comment ils appréhendent ces réformes, ce qu’ils en comprennent, comment ils les mettent en place, comment ils les ont vécues. Nous les avons également questionnés sur les autres changements pédagogiques qu’ils vivent ou ont vécus, ainsi que sur leurs conceptions pédagogiques et leurs parcours professionnels. Nous avons ensuite retranscrit ces entretiens pour mener des analyses thématiques, d’abord en considérant chaque entretien comme une étude de cas particulier, puis en menant une analyse transversale de chacune des réformes. (chapitre 5)
Nos études de cas montrent toute la complexité et la variété des processus de changement, donnant à voir comment chacun des enseignants dans sa spécificité et son contexte a vécu et vit chacune des trois réformes. Les analyses fines des études de cas mettent en lumière les processus complexes d’apprentissage, d’adaptation, ou de changement des acteurs, dans lesquels de multiples variables entrent en compte, qui peuvent agir selon la situation comme des freins ou des facilitateurs de changement. Elles montrent également que si le changement est un concept abstrait pour les enseignants, ceux-ci restent capables d’identifier très précisément des changements pédagogiques, parfois relatifs aux réformes, d’autre fois à des initiatives spontanées. Or, si les réformes ne débouchent que rarement sur des changements pédagogiques, les initiatives spontanées, soit les innovations, peinent à sortir du contexte de la classe ou de l’établissement. (chapitre 9)
Ces études de cas ont ensuite été utilisées pour analyser chacune des réformes de manière transversale, soit dans un contexte plus large. Nos résultats montrent que ces réformes n’ont provoqué au final que peu de changements pédagogiques, alors que plusieurs hypothèses se profilent : d’abord, certaines réformes ne semblent pas assez globales pour être réalisables pratiquement. Elles ne concernent qu’un aspect de l’institution, et sont entravées par d’autres aspects du fonctionnement institutionnel qui entrent en porte à faux et fait collapser la réforme, en commençant par l’adhésion des enseignants. Ensuite, certaines conceptions des enseignants, notamment en rapport avec le niveau scolaire, les empêchent de sortir de la forme scolaire, malgré les injonctions des réformes. Les enseignants gardant une certaine marge de manœuvre, ils peuvent continuer à faire comme avec une rénovation de surface, notamment au niveau du vocabulaire. Enfin, certains enseignants disent et pensent avoir changé leur pratique et être en conformité avec la réforme, alors que l’analyse montre que leur changement n’est que partiel et pointe des incohérences. Cette situation de croyance erronée semble être un frein prépondérant au changement.
Ces résultats confirment qu’il ne suffit pas de décréter une réforme pour que l’école change, que le changement ne s’effectue pas forcément dans le sens souhaité par les réformateurs et que la complexité de l’institution et de son fonctionnement pose de nombreux obstacles aux réformes. Nos analyses mettent également en lumière quelques variables qui semblent systématiquement freiner ou faciliter les changements, cela bien que les réformes produisent des effets différenciés selon les personnes.
Résumé traduit en anglais
This research focuses on the processes of recent pedagogical changes in the French-speaking schools of the canton of Bern (Switzerland), with the aim of understanding how the reforms are perceived by the teachers and what their effects on pedagogical practices are. Change is a polysemous concept, not well defined in itself, because it necessarily concerns a specific object, which determines its context and conceptualization. However, we consider it indispensable to develop a theoretical framework not only for the object, in our case pedagogy, but also for the change itself. We begin by defining pedagogy along three axes, axiological, theoretical and praxeological (Vellas, 2008), which are embedded in different levels of contexts – organizational, institutional, social, but also temporal and geographical –, which can be thematized using scales (Lahire, 1996). We then consider pedagogy as a social fact situated in the field of schooling, for which it is possible to identify a stable pedagogical form – traditional pedagogy – identifiable with specific components, which can be affected by changes, notably resulting from institutional reforms. (Chapter 1) We then focus on the concept of change for its own sake by crossing several sociological and psychological theories and empirical research, leading to a mixed theoretical framework, mobilizing many different contributions. We propose an ontological definition of social change, characterized by a process of deconstruction of irreversibilities, uncertainty, then rupture (Grossetti, 2004), followed by a reconstruction of new irreversibilities. This definition makes it possible to differentiate different types of movement, notably adaptations, changes, and among these, reforms of innovations (Cros, 1993). (Chapter 2) This definition of “Change” requires an operationalization, which we have carried out by mobilizing three dimensions (Bernoux, 2010): the actor and his conceptions (Giordan, 2018), the organization and its roles (Weick, 2003), the institution, its norms and its functioning (Bourdieu, 1982; Douglas, 1986). Each of these dimensions is in turn composed of many variables; we develop some that seem preponderant, such as beliefs, action logics, identity, the actor’s learning, social representations, networks, pedagogical practices and collective learning for organizations, institutional culture, laws, and institutional functioning for institutions. As these choices are not exhaustive, we leave the possibility for new variables to appear during the analyses. Thus, during change, these three dimensions and their variables are articulated and lead to individual and collective learning, in different configurations, giving the change characteristics specific to its context (Ducros & Finkelsztein, 1996 ; Alter, 2000). (Chapter 3) By adopting a comprehensive theoretical perspective while including interactionist and functionalist components, our theoretical framework identifies teachers as the privileged actors of change, the classroom becoming the organization of references, including students and their roles, and the broader school context, in particular the school, the Department of Public Instruction and school laws, who constitutes the institutional dimension. Pedagogical change is thus defined as a change in practice, carried out by the teacher, which affects their students and which is endorsed by a formal transformation of institutional functioning, particularly of norms. In order to identify potential changes, it is still necessary to situate them historically, as this makes it possible to argue a rupture. We therefore propose a history of the school institution (Appendix 1.7), which leads us to target the specific field of the French-speaking area of the canton of Bern, and to identify three current reforms: the implementation of a new study plan, the interference of the inclusion paradigm and its legal and practical implications, and a new directive drastically restricting homework. (Chapter 4) Using a methodology combining life history, explanatory interview (Vermersch, 2011) and comprehensive interview (Kaufmann, 1996), we then interviewed thirteen teachers and asked them how they apprehend these reforms, what they understand about them, how they implement them, and how they have experienced them. We also asked about other pedagogical changes they are experiencing or have experienced, as well as their pedagogical conceptions and their careers. We then transcribed these interviews to conduct thematic analyses, first considering each interview as a particular case study, and then conducting a cross-case analysis of each of the reforms. (Chapter 5) Our case studies show the complexity and variety of the processes of change, showing how each teacher in their specificity and context has experienced and is experiencing each of the three reforms. The detailed analyses of the case studies highlight the complex processes of learning, adaptation, or change of the actors, in which multiple variables come into play, which can act as obstacles or facilitators of change depending on the situation. They also show that although change is an abstract concept for teachers, they are still able to identify pedagogical changes very precisely, sometimes related to reforms, sometimes to spontaneous initiatives. However, while reforms rarely lead to pedagogical changes, spontaneous initiatives, i.e. innovations, have difficulty leaving the context of the classroom or the school. (Chapter 9) These case studies were then used to analyze each of the reforms in cross-cutting ways, in a broader context. Our results show that these reforms ultimately brought about few pedagogical changes, although several hypotheses emerge: first, some of the reforms do not seem comprehensive enough to be practically feasible. They concern only one aspect of the institution, and are hampered by other aspects of institutional functioning and cause the reform to collapse, starting with teachers adhering to it. Secondly, certain conceptions of teachers, particularly in relation to school level, prevent them from leaving the school form, despite the injunctions of the reforms. Since teachers retain a certain amount of leeway, they can continue to do as they would with a surface-level renovation, particularly in terms of vocabulary. Finally, some teachers say and think they have changed their practice and are in compliance with the reform, whereas the analysis shows that their change is only partial and points to inconsistencies. This situation of mistaken belief seems to be a major obstacle to change. These results confirm that it is not enough to order a reform for the school to change, that change does not necessarily take place in the direction desired by the reformers, and that the complexity of the institution and its functioning poses many obstacles to reform. Our analyses also highlight some variables that seem to systematically hinder or facilitate change, even though reforms produce various effects for different people.Ville d’édition
NeuchâtelPays d'édition
SuisseDirecteur(s) de thèse
Tinembart, SylvianeIannaccone, Antonio
Intitulé du diplôme lié à la thèse
Doctorat ès Sciences humaines et socialesInstitution(s) liée(s) à la thèse
Université de NeuchâtelURL permanente ORFEE
http://hdl.handle.net/20.500.12162/6404Document(s) associé(s) à la référence
Texte intégral :
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