L'usage de la matérialité dans la classe comme indice du rapport sujet-milieu : du développement de l'élève au développement de l'enseignant

Abstract

Notre contribution s’intéresse à la question de la situation de développement, de l’expérience vécue ou perezhivanie et du milieu (Vygotski 1931-1934/à paraître) à travers une recherche longitudinale qui s’est réalisée dans une période de dix années. L’ambition est double : premièrement illustrer les concepts énoncés ci-avant développés par Vygotski dans les textes pédologiques ; deuxièmement proposer la migration de ces concepts en vue d’une adaptation au développement professionnel de l’enseignant. La recherche se déroule en deux temps principaux. Le premier temps fort prend trois années scolaires pendant lesquelles une cohorte d’élèves et son unique enseignante a été suivie à l’école française depuis la Grande Section (élèves de 5-6 ans) jusqu’au Cours Élémentaire 1re année (élèves de 7-8 ans) dans des situations ordinaires de classe lors de séances d’enseignement-apprentissage de la lecture. Lorsqu’il apprend à lire, l’élève dispose des moyens sémiotiques relatifs à la connaissance des objets et leurs usages, ainsi qu’aux gestes et leur signification (Moro & Rodríguez, 2005), ce que nous appelons globalement la matérialité. Ces moyens à disposition de l’élève sont utilisés par l’enseignante pour faire entrer les élèves dans un autre système sémiotique, celui de l’écrit, qui va progressivement se constituer en système psychique (Schneuwly, 2008). Cette étude de cas s’appuie sur un recueil de données constitué de douze enregistrements vidéos pris régulièrement au fil des trois ans, complétés par deux entretiens semi-directifs et un entretien d’auto-confrontation. L’analyse est à la fois macrogénétique et microgénétique. Pour chaque observation, un synopsis est réalisé à partir duquel des épisodes significatifs porteurs de matérialité sont sélectionnés. Les épisodes significatifs sont constitués des événements remarquables dont les analyses microgénétiques nécessitent l’utilisation d’outils : tableaux des matérialités et photogrammes. Nous focalisons microgénétiquement les matérialités qui jouent dans les situations observées (temps interpsychique). Ces observations successives aboutissent à faire percevoir l’internalisation de la lecture (temps intrapsychique), sur le long terme, de manière macrogénétique. Nous soutenons que la matérialité, qui est une ressource pour l’enseignement-apprentissage de la lecture, est une constituante du milieu, lui-même source du développement (Vygotski 1931-1934/à paraître, p. 10). Nous proposons de lire quelques événements remarquables à la lumière des concepts liminaires. Notamment, nous préciserons le concept de rapport au milieu relativement à la matérialité : « c’est le rapport entre l’enfant et le milieu qui reste toujours central […] il est important d’étudier la relation au milieu, car lorsque cette relation change, l’influence du milieu est différente » (p. 8). Le deuxième temps fort prend une année scolaire. Six ans après ce qui précède, un nouveau recueil de données est réalisé auprès de la même enseignante. Il est composé de données filmées (deux matinées complètes) donnant à voir des séances d’enseignement-apprentissage de la lecture et de mathématiques aux trois niveaux GS, CP, CE1. Un entretien d’auto-confrontation complète le recueil, ainsi que des données spontanées fournies par l’enseignante. Il ressort de ce deuxième temps que l’enseignante s’est développée professionnellement eu égard à l’usage de la matérialité dans sa pratique quotidienne. Nous proposons d’étudier les potentialités d’une transposition des concepts de situation de développement, de l’expérience vécue ou perezhivanie et du milieu (Vygotski 1931-1934/à paraître) au développement de l’adulte.