Les moments saillants des stagiaires en éducation physique: révélateurs des tensions dans l’alternance

Abstract

Les moments saillants des stagiaires en éducation physique : révélateurs des tensions dans l’alternance Cette étude, qui fait partie d’un triptyque sur les acteurs de l’alternance, porte sur l'activité des stagiaires en éducation physique durant leurs premières expériences auprès des élèves. Son ambition est de combler ce qui peut être désigné comme un écart entre les deux versants de l’alternance dans la formation du corps enseignant, spécifiquement en éducation physique. Dans les dispositifs d’alternance, les savoirs théoriques dispensés en centre de formation (en cours ou en séminaire dans la salle de sport) côtoient l’exercice du métier en milieu scolaire. La réduction de cet écart pourrait permettre de relever les défis futurs : des liens efficaces entre théorie et pratique (Gagnon, 2019 ; Caron & Portelance, 2017), une continuité entre les différentes séquences dans la formation (Dastugue & Chaliès, 2019) et une professionnalisation des formateurs de terrain (Perez-Roux, 2023), pouvant induire une diminution des abandons des enseignants en début de carrière (Amitai & Van Houtte, 2022), avec des stagiaires prêts à entrer dans le métier. Le cadre théorique mobilisé est celui de l’analyse de l’activité qui s’inscrit dans la tradition de la clinique de l’activité (Clot, 2008), en considérant le travail enseignant comme une activité située, dynamique, confrontée à des tensions. Dans ce cadre, les moments émotionnellement saillants (Descoeudres & Méard, 2019) sont vus comme des événements révélateurs de la dynamique du métier. Ils traduisent les tensions entre les attentes des formateurs et de l’institution et les réalités vécues sur le terrain auprès des élèves. Ce cadre semble particulièrement adapté pour comprendre le vécu des stagiaires en éducation dans leur pratique auprès des élèves, en contexte d'alternance. Considérant les émotions comme se trouvant à la source du développement de chaque individu, Clot (2008) convoque Spinoza (comme Vygotski) en rappelant que « le développement du pouvoir d’agir est indissociable du pouvoir d’être affecté » (Descoeudres, 2019, p. 82), ceci confirmant notamment la dimension transformationnelle et développementale des émotions propre à Vygotski (De Diesbach-Dolder, 2022). Clot (2008) stipule que les émotions se situent entre le sens (motif de l’activité) et l’efficience (opérations, gestes professionnels) et « seraient ainsi à l’origine d’un développement du pouvoir d’agir, initié par le pouvoir d’être affecté » (Descoeudres, 2019, p. 89). Les situations émotionnelles marquantes révèlent dans cette étude, notamment des tensions provenant de la formation en alternance.

Design et méthode Les étudiants en didactique de l’éducation physique du canton de Vaud (2023 & 2024, n=54) ont été sollicités pour compléter de manière volontaire et anonyme un questionnaire dans lequel ils ont dû décrire deux moment saillants vécus (n=108) durant leur enseignement auprès des élèves. Les réponses ont été collectées et traités de manière inductive (Strauss & Corbin, 1990) afin de faire émerger des récurrences permettant le regroupement des récits dans x catégories. Ces catégories ont permis d’identifier les situations émotionnellement marquantes vécues par les stagiaires en éducation physique, leur effet sur leur activité ainsi que la manière dont les stagiaires y font face.

Résultats Afin d’ajuster de manière optimale la formation des étudiants en éducation physique et de favoriser des articulations pertinentes entre les contenus théoriques enseignés en institut de formation pédagogique et la réalité du terrain scolaire, il est essentiel d’identifier les moments saillants vécus par les stagiaires lors des leçons d’éducation physique. Ces résultats, en tant qu’expériences émotionnellement marquantes, constituent une porte d’entrée précieuse pour comprendre les facteurs qui soutiennent ou freinent l’engagement des stagiaires dans leur professionnalisation. Dans cette perspective, il apparaît d’autant plus pertinent de considérer les émotions vécues en situation d’enseignement, car elles jouent un rôle déterminant dans la construction professionnelle des futurs enseignants. Or, alors que depuis plus de vingt ans, le travail enseignant est reconnu en tant que travail émotionnel (Hargreaves, 2000), l’attention portée aux émotions dans les dispositifs de formation reste encore marginale et relativement récente (Audrin et Bressoud, 2022). Cette lacune interroge la manière dont les formations actuelles prennent en compte les dimensions affectives de l’expérience professionnelle des stagiaires, pourtant centrales pour comprendre leur engagement, leurs doutes ou leur persévérance dans le métier.